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mardi 13 septembre 2011

Un café avec Philippe Presti

Licencié au cercle de voile du Lac de Cazaux à quelques kilomètres de sa maison bardée de pin des Landes sur les rives du bassin d’Arcachon, Philippe Presti possède aussi une jolie collection de miles sur les compagnies aériennes du monde entier. Unique « froggy » du sailing team d’ORACLE Racing, il coache des supers stars comme Coutts, Spithill, Kostecki, Daubney et les autres…respect !

Double Champion du Monde de Finn, vice-Champion du Monde de Soling et double sélectionné olympique en 96 et 2000, le Français a mené sa première campagne America’s Cup avec Areva Challenge en 2003. Il fut ensuite le « sparing partner » d’un certain James Spithill, lorsque le jeune australien barrait le Class America italien de Luna Rossa à Valence en 2007. Déjà, Jimmy saluait ses talents et, depuis, ils ne se quittent plus.
Comment as-tu accédé à ce poste de coach du Sailing Team d’ORACLE Racing ?
« Après la seconde victoire d’Alinghi et lorsque le multicoque commençait à entrer dans les discussions, Jimmy était déjà chez ORACLE et m’a appelé pour poursuivre mon rôle de coach à ses côtés. Nous avons commencé par des entraînements en Match Race à Valence en Extrême 40. Il a fallu ensuite apprendre à régater sur ce grand trimaran à San Diego (trimaran USA 17 qui fut ensuite doté d'une aile rigide). C’était la découverte, nous étions seuls et nous avons passé beaucoup d'heures avec Jimmy sur le simulateur. Après avoir gagné l’America’s Cup, il m’a proposé de revenir pour les Louis Vuitton Trophy qui se disputaient en Class America….et là, il a fallu se remettre au monocoque ! Il y a un an, nous cherchions encore le meilleur support pour la Coupe, alors on se préparait à tout. Jimmy faisait du multicoque, en Class A ou Class C mais aussi du monocoque, sur le circuit de Match Race ou en RC44. »

Quel est le rythme dans l’équipe actuellement ?

« Les navigants sont très itinérants, avec une épreuve tous les 15 jours dans un pays différent. Nous n’avons plus de base à Valence mais une nouvelle à San Francisco, où le Design Team travaille également, et nous avons une seconde base en Nouvelle-Zélande où nous nous sommes entrainés cet hiver. Il faut savoir que nous avons déjà mis beaucoup d’énergie pour concevoir, construire et apprendre à régater sur ces AC45. L’ambiance est très studieuse car nous avons envie de faire une performance ici. Nous n’oublions pas non plus que l’objectif, c’est le gros bateau, l’AC72, pour l’été prochain. »

En quoi consiste concrètement ton rôle ?

« J’aide le Sailing Team à progresser mais avec des profils aussi pointus et expérimentés, c’est un gros challenge. Quand tu t’adresses à des jeunes qui débutent, tu peux être directif. Là, l’approche doit être très différente. J’observe sur l’eau, je décortique les vidéos et j’écoute les enregistrements à bord afin d’identifier et isoler ce qui peut être amélioré. Dans l’action, tu as forcément une vision étroite, mon rôle est donc d’élargir le point de vue et de montrer aux navigants où il faut chercher. Ils sont ensuite suffisamment expérimentés pour trouver ensemble les solutions. Je fais aussi venir des intervenants extérieurs comme par exemple Darren Bundock qui arrive demain (médaillé d’argent en Tornado en 2008 avec Glenn Ashby qui tactique ici pour Dean Barker chez Emirates Team New Zeleand). »
Les épreuves de Match Race débutent mercredi à Cascais, en quoi le jeu s’annonce différent avec ces multicoques ?
« La vision de Larry (Ellison) et Russell (Coutts) est de proposer un spectacle incroyable pour le commun des mortels. A nous de construire le jeu autour de ce concept mais, si le support est différent, cela reste du match racing. Lorsque tu cours sur le circuit mondial, tu dois t’adapter à des bateaux souvent très différents, là c’est pareil. Le fait de partir au Largue influence forcément ta stratégie mais la manière dont tu contrôles l’adversaire, dont tu utilises les règles et les compétences à bord, est la même.

Vous vous êtes entrainés à deux AC45, un point fort non ?

« Oui, s’entraîner à deux bateaux est forcément confortable mais d’autres teams ont préféré courir en Extrême 40 et nous voyons bien chez Emirates Team Zealand que cela leur apporte beaucoup, notamment pour les courses en flotte. »

Qui remplace Simon Daubney (blessé) pour la suite de la semaine ?

« Daniel Fong qui était régleur sur Luna Rossa et vient d’arriver de Nouvelle Zélande. Ce wee-end, c’était Hendo, le chef du shore team, mais nous n’avons pas d’équipiers remplaçants. Nous avons déjà deux équipages complets et ce sera notre contingent de navigants pour la suite. »
Le Defender souhaite révolutionner l’America’s Cup, quel regard portes-tu sur cette ambition ?
« Pour moi, le plus révolutionnaire est d’avoir enfin décidé d’amener la course près de la côte qui est utilisée comme gradins, chose que nous faisons déjà en Match Race par exemple. L’image du milliardaire qui défie le Defender en jetant un gant blanc paraît un peu lointaine mais nous entrons dans un nouveau siècle et c’est génial. Tout le monde ici à la banane, ces bateaux sont funs, c’est de la glisse, la même différence entre le ski de fond et le snowboard et ce n’est que le début. Avec le fait que ce soit open, que l’on puisse s’observer librement, les progrès vont aller très vite. Et si l’on a encore des compromis sur certaines phases de jeu, dans six mois ce sera terminé. »
America’s Cup et monotypie, un nouveau mariage là aussi ?
« En effet, en AC45, tu peux uniquement jouer sur les voiles d’avant. Sur les gennak’, il y a peu de variantes concernant les formes, en revanche, les tissus utilisés diffèrent. Cela bouge plus sur les formes des focs où certains ont des cornes ou non et plus ou moins importantes (angle droit qui rappelle les planches à voile). Après, pour le AC72, ce sera une autre histoire, là, les ingénieurs vont vraiment pouvoir s’exprimer. »

Enfin, quel regard portes-tu sur les deux équipes Françaises : Energy Team et Aleph ?

« C’est super que les Français soient présents. Il faut que les budgets suivent rapidement car c’est dommage avec les compétences et l’amour des Français pour le multi que l’on ne soit pas dans le coup. »

Rattraper le temps déjà perdu est-il réaliste ?
« Nous (chez ORACLE), nous faisons forcément en sorte d’avoir le plus d’avance possible. Je me souviens, quand j’ai commencé la Coupe, je venais de l’Olympisme et je me disais qu’avec un bateau et des bras, on pouvait y arriver. Mais en fait, c’est l’image de l’iceberg, avec ce que tu vois au-dessus - le bateau avec les mecs qui naviguent - et tout le reste que tu ne vois pas en profondeur. Cependant, dans les premières campagnes en Class America, de petites équipes comme Tag avaient sorti des choses intéressantes. En France, nous avons déjà cette compréhension du multicoque ce qui n’est pas le cas de l’Italie par exemple. A l’époque de la 32e, rattraper Alinghi était quasiment impossible si tu n’achetais pas les compétences. Le gap technologique entre les bateaux était trop important. Là, en multicoque, le fond de jeu n’est pas encore suffisamment épais pour que le retard soit irrécupérable. Par contre, ce qui ne change pas c’est qu’un euro investi maintenant en vaudra mille à la fin alors…il ne faut pas traîner ! »

Recueillis par J.Huvé