-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

jeudi 31 mai 2007

«La régate, c’est comme les échecs, il faut avancer ses pions avec clairvoyance»


Le second barreur de «Luna Rossa» revient sur son parcours dans la Coupe de l'America. Le team italien entame la finale des challengers (coupe Louis Vuitton) vendredi contre les Néo-Zélandais.
Par Benoît BAUME
LIBERATION.FR : jeudi 31 mai 2007

Philippe Presti, deuxième barreur du syndicat italien Luna Rossa, a largement contribué au succès de son équipe qui disputera à partir de vendredi la finale de la Louis Vuitton Cup face à Emirates Team New Zealand. Son histoire est celle d’un marin qui a découvert la voile dans les colonies de vacances de la Poste et qui se retrouve aujourd’hui au pinacle de la quête vélique. Malgré sa gueule d’ange et ses airs de Tintin, il n’a rien d’un fils à papa. Double champion du monde de Finn (1993 et 1996), un des dériveurs olympiques où la concurrence est la plus rude, le Français a participé deux fois aux Jeux Olympiques, à l’America’s Cup 2003 avec le Défi Areva et est devenu un des meilleurs spécialistes de match-racing. Il livre ses sentiments après deux ans et demi de travail au sein d’un équipage qui a les moyens de remporter l’America’s Cup.

Comment a commencé votre aventure au sein de Luna Rossa ?
Mon entretien d’embauche avait été pour le moins inattendu. Francesco de Angelis (le skipper de Luna Rossa) m’avait appelé pour venir les voir à l’entraînement. Je suis sorti sur le deuxième bateau, comme observateur. Au bout de quelques minutes, on m’a demandé de prendre la barre pour réaliser des régates face à James Spithill (le barreur numéro 1 de Luna Rossa). Je les ai remportées et, à partir de là, j’ai été accepté dans l’équipe. Ensuite, il a fallu se mettre À 100% dans un contexte anglo-saxon. Je parlais anglais, mais entre tenir une conversation et diriger un bateau de 17 bonhommes, il y a une marge. J’ai mis une énergie considérable à pouvoir réaliser tous les débriefings dans une langue qui est celle d’une équipe internationale comme la nôtre. En deux ans et demi, j’ai appris énormément de chose. Je sortais d’une campagne avec le Défi Areva où il fallait constamment s’adapter à la machine qui n’était pas développée dans la totalité de ses possibilités et dont la question de la fiabilité se posait. Quand tu barres un bateau et tu n’as pas une confiance totale, c’est compliqué. Chez Luna Rossa, les Class America sont optimums. Et tu peux réellement te concentrer sur ton travail de barreur. Vu que tout le reste est bon, si ça ne marche pas, cela signifie que tu n’as pas trouvé les bons réglages.»

Quelle a été votre relation avec James Spithill et Francesco de Angelis ?
La situation a toujours été claire. Je suis rentré pour barrer le deuxième bateau et intégrer la cellule arrière si besoin. On m’a proposé au bout d’un moment de devenir le coach de la cellule arrière, et de James en particulier car nous avons une relation extrêmement complice et productive. Je n’étais pas en concurrence avec lui, car il ne faisait aucun doute qu’il barrerait le bateau, même si rien n’était défini dans nos contrats. La concurrence, nous l’avons eu sur l’eau car tu te tires la bourre. Je n’allais pas non plus me mettre en opposition à Francesco qui est le skipper naturel de Luna Rossa. Si tu veux le poste d’un mec, tu ne peux pas travailler intelligemment avec lui, car tu es toujours sur la réserve. Ce n’était pas le cas. Le départ en Class America, c’est comme un sport de combat. J’ai poussé James pour qu’il puisse progresser et cela a payé.

Luna Rossa semble être une équipe particulièrement soudée...
Déjà, ils ont su accueillir les nouveaux entrants comme moi, et cela est fondamental. De plus, la culture mixte entre le côté latin et anglo-saxon est très saine. Ce qui est important vient de ce que tu produits pour l’équipe. Si les gens ont le sentiment que tu fais progresser le groupe, la confiance s’installe et le cercle vertueux est en marche. Mais clairement, il faut faire ses preuves.

Quel est votre quotidien, en dehors des périodes de régates ?
Depuis deux ans et demi, nous sommes sur l’eau six jours par semaine, avec huit heures de navigation et six de travail effectif. Il faut savoir être performant car derrière, tout est enregistré et les datas sont analysées. Les confrontations internes sont souvent acharnées. Personnellement, je suis entré dans la peau d’un coach pour modéliser les régates et aider à la prise de décision : j’ai référencé toutes les situations que nous avons connues, je l’ai répertoriées et je partage mon analyse avec la cellule arrière pour progresser. J’ai toujours été intéressé par le jeu plus que par la compétition pure. Ma femme, Cécile (ndlr : ancienne joueuse de haut niveau de volley et beach volley) est une vraie compétitrice qui a cela dans le sang, pas moi. J’ai essayé de développer d’autres qualités liées au jeu. J’ai compris que l’analyse pourrait m’emmener à la performance car je ne suis pas un killer et je ne le serai jamais. La régate, c’est comme les échecs, il faut avancer ses pions avec clairvoyance. Intellectualiser, ça permet d’expliquer aux autres.

Avez-vous été surpris par votre victoire relativement facile en demi-finale contre BMW Oracle Racing ?
Nous n’avons jamais pensé que cela allait basculer fort d’un côté ou d’un autre. Nous nous étions préparés à des régates serrées que nous allions disputées en cinq manches. Nous savions que nous avions une chance, mais BMW Oracle avait des ressources que nous n’étions pas capable de débloquer. Même le dernier jour, on ne s’est jamais dit que ça allait le faire. Nous sommes restés méthodique jusqu’à la fin.

Quelle est la plus grosse différence entre la Coupe vue de la France et de l’Italie ?
Le drapeau est presque pareil, mais sinon j’ai du mal à le dire car nous n’avons jamais trop été en Italie. L’engouement est tout de même incroyablement plus fort. A Valence, le nombre de touristes transalpins est considérable, on entend parler italiens à tous les coins de rue. Sur l’eau, la moitié des bateaux spectateurs nous soutient.

Quel rôle joue Patrizio Bertelli, le patron de l’équipe ?
C’est un passionné. Après la victoire en demi-finale, il a organisé un barbecue et c’est lui qui cuisinait la viande à l’équipe. Ce n’est pas que le mec qui fait le chèque, cela va bien au-delà. Tous les jours, il passe une heure avec les designers pour comprendre et donner ses idées. Pour lui, il y a la performance, mais surtout le fonctionnement humain.

Quel est votre avenir aujourd’hui ?
J’espère qu’il y aura d’autres coupes, mais j’ai du mal à me projeter au-delà de Luna Rossa car aujourd’hui, nous avons encore d’énormes enjeux et je veux en profiter pleinement. L’équipe est forcément un équilibre instable qui demande une attention de tous les instants.

Areva Challenge a fait part d’une volonté oecuménique de regrouper les meilleurs Français et votre nom a été cité. Avez-vous été contacté ?
Non, je ne l’ai pas été, cela pourrait m’intéresser. Mais franchement aujourd’hui, je n’en suis pas là car il existe encore beaucoup d’inconnues.

La France peut-elle gagner un jour la Coupe de l’America ?
Je ne vois pas pourquoi nous n’y arriverions pas. Mais il faut s’y prendre correctement. La différence vient des bonshommes. On peut le tourner comme on veut, à la fin, ce sont des hommes qui se regroupent pour réaliser une performance. Le jour où l’on aura compris cela, on aura bien progressé.

mercredi 16 mai 2007

Valencia - Les français en coulisses.



Rencontre avec Philippe Presti
Le Français qui, en coulisses, pousse dans ses retranchements l’un des meilleurs « match raceurs » au monde : James Spithill

A 27 ans, Spithill dispute sa 3e Louis Vuitton Cup. A la conférence de presse d’ouverture des demi-finales, le barreur de Luna Rossa Challenge a déclaré au sujet des départs à venir face à Chris Dickson : « En entraînement, Philippe Presti me pousse vraiment loin, je me sens prêt. » Depuis, l’Australien a dominé les trois premiers départs et ITA 94 a passé toutes les marques en tête.

Qui est James Spithill ?
« C’est un très bon qui a la tête sur les épaules et l’ego suffisant pour aller là où il veut. Dans le travail, c’est une locomotive, rien ne l’arrête. Il reconnaît par contre le travail effectué, ce qui donne envie de se défoncer pour lui. Il ne s’affiche pas, ne recherche pas les médias et reste discret en public. Mais James sait parfaitement ce dont il a besoin pour progresser. Son objectif est de devenir le meilleur et il y arrivera. »

Comme avez-vous préparé ces confrontations avec BMW Oracle Racing ?
« Lorsque je suis arrivé dans l’équipe, nous faisions des régates à deux bateaux et j’ai insisté pour que nous nous entraînions sur les moments clefs des matches et répétions des situations typiques de match race, comme le « slam dunk » dans la seconde manche par exemple. Ça c’est mon bébé, j’adore ça ! Ce travail nous a aidé à établir une stratégie précise pour battre Oracle. Il y a des secteurs du jeu où nous souhaitons les amener, mais je ne vous dirai évidemment pas lesquels ! »

Spithill barre mais Francesco de Angelis est skipper, comme cela fonctionne-t-il ?
« James a rejoint l’équipe lorsque Francesco a décidé de quitter la barre pour se concentrer sur son rôle de skipper et de leader de l’équipage. Barrer demande une concentration énorme et il est difficile de donner en même temps toutes les directives aux équipiers. Il y a aussi différents types de leaders. Certains sont charismatiques par leurs actes, comme James, et d’autres, comme Francesco, imposent le respect avec leur expérience et leur vision globale du jeu. Leur complémentarité est efficace.»

Le barreur a pourtant le dernier mot, notamment pendant les phases de contacts ?
« Il y a trois phases dans un match pour le barreur. Le départ où il se doit d’être directif, pour que les mouvements du bateau traduisent sa créativité. Les régleurs, les wincheurs et les équipiers d’avant doivent avoir comme lui, un coup d’avance, sinon ça ne marche pas. Ensuite, la mission du barreur est d’amener le bateau le plus vite possible à la bouée au vent, c’est un pur job de pilote et de concentration, jusqu’au moment où on se retrouve de nouveau au contact de l’adversaire. Le tacticien dit : « je veux que nous sortions comme ceci pour aller là-bas et à toi de jouer.» Là, on repasse dans la peau du boxeur. »

En ce moment, quel est l’emploi du temps de Philippe Presti ?
« Avant les matches, nous nous entraînons à deux bateaux et je barre ITA 86 afin d’échauffer l’équipage et d’avoir une bonne lecture du vent sur la zone de course. Avec d’autres, nous débarquons ensuite sur le tender (bateau suiveur) pour observer les régates et préparer une analyse que nous livrons le soir à l’équipage. Je coordonne aussi la cellule arrière pour la gestion des meetings et contribue à établir notre stratégie. »

Qu’est ce qui est italien chez Luna Rossa Challenge ?
« Le drapeau sur la base et la cuisine ! Plus sérieusement, on y retrouve le côté excessif des latins, à la fois cette chaleur humaine vraiment très agréable et aussi cette spontanéité et cette franchise des méditerranéens. On se dit les choses sans tabou, en positif comme en négatif. « Presti » c’est italien. Ma famille a des origines étrusques, je me retrouve donc bien dans ces caractères. »

Qu’est ce qui est anglo-saxon chez Luna Rossa Challenge ?
« C’est une grosse machine. Au début, je me disais « cela semble facile, les deux bateaux sont toujours prêts à sortir, on m’envoie des textos pour les heures de meetings, chacun sait ce qu’il à faire » mais en passant dans les coulisses, j’ai vu une mécanique bien huilée. C’est grâce au petit groupe qui est avec Luna Rossa depuis 2000. Steve Erickson (Américain, médaillé d’Or en Star en 84) coordonne la cellule sportive afin de bien canaliser les énergies. Je pense surtout que les deux cultures se respectent et c’est ce mélange qui est enrichissant. »

Patrizio Bertelli a confié au quotidien Libération : « nous avons gardé un mauvais souvenir de notre deuxième défi, car il y avait des gens dans l’équipe qui ont tout fait pour qu'on ne gagne pas. » L’avez-vous ressenti en rejoignant Luna Rossa ?
« La dernière édition était pléthorique. Vous imaginez, comment coordonner le travail de 300 personnes et notamment en design, cela partait dans tous les sens. Patrizio Bertelli a « dégraissé le mammouth » comme on dit vulgairement, pour garder le corps initial de l’équipe, avant de recruter des personnes capables de relancer la machine sur des bases saines, comme James Spithill. Nous partions ensuite de ITA 74, un bateau déjà en retrait par rapport aux meilleurs bateaux de sa génération. La rumeur a dit que notre nouveau bateau était raté. Nous avons travaillé. Nous avons avancé dans le bon sens je pense, en tout cas pour le moment, c’est satisfaisant. »

Vous vous sentez bien chez Luna Rossa alors ?
« Oui. J’ai vraiment franchi un palier en intégrant cette équipe (au printemps 2005, le double champion du monde de Finn et vice-champion du monde de Soling était avec le Défi français depuis 2002), notamment dans la qualité des confrontations sur l’eau et dans le nombre d’heures passées en navigation à deux bateaux. Bertrand (Pacé, barreur du bateau B) vit aussi cela chez BMW Oracle. C’est aussi un milieu idéal pour un sportif, c’est de l’olympisme puissance 100. On est pas seul mais une centaine tournée vers le même objectif.

Propos recueillis par Julia Huvé